Ce constat sans nuances n’émane pas d’une organisation marxiste orthodoxe, mais d’une étude détaillée sur les déterminants sociaux de la santé dans le monde. Rendu public par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 28 août 2008, le rapport, intitulé « Combler le fossé en une génération », synthétise les résultats de trois années de recherches.
Il relève qu’aux inégalités sanitaires entre pays s’ajoutent celles entre riches et pauvres d’un même pays. Par exemple, si l’espérance de vie à la naissance d’un garçon américain est supérieure de dix-sept années à celle d’un Indien, l’espérance de vie d’un nouveau-né écossais d’une banlieue déshéritée de Glasgow est de vingt-huit ans inférieure à celle d’un nourrisson mis au monde dans un quartier huppé de la même ville. « L’injustice sociale tue à grande échelle », notent les auteurs réunis au sein de la Commission des déterminants sociaux de la santé. Installée par l’OMS en 2005, celle-ci compte parmi ses membres des chercheurs en sciences sociales, des médecins, des personnalités politiques, etc ...
- Espérance de vie en bonne santé (2006)
- Cet indicateur tient compte à la fois de l’espérance de vie (mesure composite de la mortalité) et d’une estimation des années passées en mauvaise santé, corrigées de la gravité de l’état de santé. Il est une mesure de la durée de la vie en parfaite santé, c’est-à-dire sans incapacité.
Toutes les figures sont de Philippe Rekacewicz. -
« La répartition inégale des facteurs qui nuisent à la santé n’est en aucun cas un phénomène naturel, expliquent-ils. Elle résulte des effets conjugués de politiques et de programmes sociaux insuffisants, de modalités économiques injustes et de stratégies politiques mal pensées. » Réduire ces inégalités passe évidemment par un accès universel aux biens élémentaires (eau, nourriture, logement, soins, énergie), mais aussi par l’éducation, la culture, un urbanisme harmonieux et de bonnes conditions de travail. En outre, le fossé sanitaire ne se comblera « que si l’on améliore la vie des femmes, des jeunes filles et des filles », les pouvoirs publics devant s’engager plus fermement pour mettre fin aux discriminations qui frappes ces dernières.
Ce document de 256 pages se lit en creux comme un réquisitoire contre les politiques économiques prônées par les institutions financières internationales et mises en œuvre dans de nombreux pays. Il recommande notamment de « lutter contre les inégalités dans la répartition du pouvoir, de l’argent et des ressources, c’est-à-dire les facteurs structurels dont dépendent les conditions de vie quotidienne aux niveaux mondial, national et local ».
Comparaison de l’espérance de vie globale et en bonne santé (2006)Mortalité infantile et niveau d’éducation des femmesLiant santé et travail, les membres de la Commission s’écartent singulièrement des préconisations libérales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : « Le plein emploi, l’équité en matière d’emploi et des conditions de travail décentes doivent être des objectifs communs des institutions internationales et se situer au cœur des politiques et des stratégies de développement nationales, les travailleurs devant être mieux représentés lors de l’élaboration des politiques, de la législation et des programmes portant sur l’emploi et le travail. » En effet, « un travail sûr, sans danger et correctement rémunéré » réduit les facteurs de risque. De même qu’un emploi stable, attendu que « la mortalité est sensiblement plus élevée chez les travailleurs temporaires que chez les travailleurs permanents ».
Pour remédier aux inégalités sanitaires et aux disparités des conditions de vie quotidiennes, le rapport de l’OMS recommande l’instauration d’« une protection sociale universelle généreuse » – fonctionnant de préférence « par répartition » –, ainsi que d’importants investissements dans le secteur de la santé. Un tel chantier « exige un secteur public puissant, déterminé, capable et suffisamment financé ».
Au moment où les gouvernements des pays capitalistes avancés délèguent au secteur marchand une part toujours plus importante des activités de santé et transfèrent aux assurances privées des pans entiers de la couverture maladie, les auteurs de l’étude rappellent que « la santé n’est pas un bien négociable ». La fourniture des biens sociaux essentiels, comme l’accès à l’eau et aux soins, « doit être régie par le secteur public et non par la loi du marché ». Les membres de la commission de l’OMS insistent sur ce point : « Comme les marchés ne peuvent fournir les biens et services indispensables de façon équitable, le financement par l’Etat exige du secteur public qu’il assure un encadrement solide et consente des dépenses suffisantes. » Avant de conclure, à la barbe des partisans d’une fiscalité toujours plus réduite : « Cela suppose un impôt progressif, car il est attesté qu’une redistribution même modeste contribue bien davantage à résorber la pauvreté que la croissance économique seule. »
A la lumière de ces résultats, faut-il songer à imprimer sur les boîtes de médicaments les mentions « Baisser l’impôt nuit à la santé » et « L’injustice sociale tue » ?
Pierre Rimbert - Le Monde DiplomatiqueDeux indices pour (imparfaitement) mesurer les inégalités : Le développement humain et GiniLa mortalité infantile chez les riches et chez les pauvresToujours plus riches, toujours aussi pauvresEvolution de l’espérance de vie en Afrique du Sud